samedi 17 décembre 2011

Jane's Addiction - "Nothing's Shocking" / "Ritual de lo Habitual"

Si Jane's Addiction n'est un groupe méconnu, il n'a néanmoins pas eu le succès qu'il méritait, notamment en Europe. Fondé au milieu des années 80 par Perry Farrell, ce groupe est l'une des sources d'influence les plus importantes et les plus souvent citées des groupes actuels, à commencer par les Red Hot Chili Peppers.

Jane's Addiction est un mélange explosif, une alchimie rare entre quatre artistes, talentueux et surdoués. Ce groupe a le don d'allier diverses influences, d'y mettre sa patte, toujours avec un son et une rythmique énorme, et d'être identifiable parmi mille autres. Des ambiances psychédéliques parfois, une guitare agitée et un basse batterie groovy, un chant et une voix immédiatement reconnaissable, un côté pop sans l'être vraiment, des petites touches "70's", une fusion idéalement composée. Autour du charismatique et extravagant Perry Farrell, le groupe va sortir deux albums monstrueux à deux années d’intervalle. Deux bombes dans l'univers musical rock américain, deux albums d'une créativité inouïe et d'où s'échappent une énergie et une virtuosité formidables, laissant l'auditeur hébété de jouissance au terme de l'écoute.

Groupe de scène, Jane's Addiction devient entre 1985 et 1986 la sensation musicale de Los Angeles et sort en 1987 un premier album... live ! Il faut attendre encore 6 mois pour que sorte l'énorme "Nothing's Shocking" dont l’introductif "Up the beach" dessine en trois minutes le terrain de jeu des Californiens : l'intro de basse d'Eric Avery, les envolées magnifiques du guitariste Dave Navarro, la batterie puissante de Stephan Perkins et le chant haut perché de Perry Farrell. Le clou est enfoncé dès le second titre, l'explosif "Ocean size". Ce single déboule dans les oreilles sans crier gare. Puissant, agressif, violent, rageux, prétentieux à souhait, ce titre est l'ouverture idéal d'un album génial.

"Had a Dad" s'enchaîne en pétaradant, rythmés par la batterie omniprésente de Perkins. Les fréquents changements de rythme de la chanson la rende incroyablement vivante. Impossible de ne pas prendre un pied formidable en écoutant un titre aussi radical. Vient ensuite l'étrange "Ted just admit it...". Un titre long (plus de 7 minutes), moins rapide, au riff de basse entêtant et imparable. Contenu dans ses premières minutes, "Ted..." explose après 2:50 puis nous entraine dans un tourbillon psychédélique qui se termine dans la folie la plus totale. Jouissif. "Standing in the shower... Thinking" est une chanson que n'aurait pas reniée les Red Hot Chili Peppers par son côté funk, moins marqué chez Jane's Addiction. Si elle s'écoute sans déplaisir, elle n'est pas l'une des pièces majeures de l'album.

Ce dernier prend un tour plus planant avec l'arrivée de "Summertime rolls", qui débute minimaliste. Lent, enivrant, le titre s'étire en longueur, gagnant en puissance au fil des minutes pour finir sur la ligne de basse initiale. Avec le puissant "Mountain song", on retrouve un Jane's Addiction nerveux et aérien. Farrell scande les paroles de la chanson plus qu'il ne les chante. Ce titre est clairement l'un des meilleurs singles de l'album. "Idiots rule" m'est toujours apparu comme une idéale chanson de fin d'album. Le titre le plus funky de l'album derrière lequel on entend une trompette tenue par... Flea, le bassiste des Red Hot !

Le titre phare du CD est néanmoins "Jane says", l'une des chanson les plus connues du groupe. Navarro est passé à l'acoustique et donne le rythme. A titre personnel, "Jane says" ne fait pas partie des mes préférées des chansons du groupe, ni de l'album. Les goûts et les couleurs... Après l'inutile "Thank you boys" (à quoi sert donc cette minute ?) déboule l'excellent "Pig's in zen" qui clôt l'album de fort belle manière avec notamment un Dave Navarro particulièrement inspiré dans ses solos.

Avec cet album, Jane's Addiction frappe un grand coup. Mais c'est avec le temps que l'on remarque la qualité de "Nothing's shocking". Il n'a pas pris une ride et aujourd'hui encore plus qu'hier, on se rend compte du talent de Jane's Addiction, probablement le dernier groupe à avoir érigé l'adage "sex, drugs & rock n'roll" en art de vivre. Intemporel, "Nothing's shocking" est l'un des tout meilleurs albums rock que j'ai entendu.

Pour Jane's Addiction, néanmoins, le plus dur restait à faire : confirmer. Mais sur leur lancée, Farrell et sa bande allait tout renverser sur leur passage avec le grandiose "Ritual de lo Habitual".

A la fin de l'été 1990, quelques mots d'espagnol lançaient le surexcitant et surexcité "Stop!", premier single et titre d'ouverture de l'album. Une incroyable énergie se dégage de cette chanson, dont l'intensité dépasse la plupart des titres de "Nothing's shocking". "No one's leaving" ne gâte en rien le plaisir de l'auditeur et s'enchainent naturellement dans un style plus funky mais tout aussi rentre dedans que "Stop!".

"Ain't no right" débute par 45 secondes qui font penser à "Ted just admit it...", mais c'est un leurre. La basse tue à nouveau et nous entraine dans une débauche oppressante aux percussions tribales. Flippant à souhait. "Obvious" se veut moins stressant, plus aérien, comme si l'on était passé des bas fonds d'une ville ("Ain't no right") à une balade dans les montagnes ! N'en demeure pas moins que le titre déborde lui aussi d'énergie. Le single de cet album s'appelle "Been caught stealing". Comme "Jane says", c'est le titre le plus aborable, le plus "pop" et le moins agressif depuis le début de l'album. Et comme "Jane says", de loin pas mon préféré.

Débute alors la seconde partie de "Ritual". Celle que les membres de Jane's Addiction ont voulu comme un hommage à une amie de Perry Farrell, décédée d'une overdose d’héroïne. A titre personnel, je pense que "Three days" est l'un des meilleurs titre rock de l'histoire. Certainement le meilleur des 90's. A la fois lyrique et psychédélique, cette chanson est d'une beauté incroyable, où la fantastique créativité du groupe est développée à l'extrême, notamment les solos de Navarro qui sont tout bonnement hallucinants.

Le bonheur, c'est que "Then she did..." est fait du même bois et prolonge l'intense plaisir de l'écoute. Un groupe de cordes apporte un son mélancolique à ce titre qui pourrait être la petite soeur "soft" de "Three days". De cordes, violon tzigane cette fois, il est encore question dans "Of course", chanson aussi sûrement californienne que Farrell était clean. L'album s'achève sur une "Classic girl" splendide et romantique.

"Ritual de lo Habitual" est un album ultime, à la fois parce qu'il est probablement le meilleur des 90's aux côtés du "Nevermind" de Nirvana et de "Ten" de Pearl Jam. Mais aussi parce qu'il marque une première fin pour Jane's Addiction qui se sépare à l'issue de la tournée qui suit l'album. Comme pour "Nothing's Shocking", c'est l'ambition et l'avant-gardisme de "Ritual" qui étonne aujourd'hui. On pourrait croire que cet album est très récent. Il a pourtant plus de vingt ans. Quand à savoir lequel des deux est le meilleur, je pense que chaque fan de Jane's Addiction a sa préférence pour l'un ou l'autre. Personnellement, j'ai toujours eu un faible pour "Ritual", notamment à cause du monumental "Three days".

Jane's Addiciton se reformera une première fois en 1997 pour une tournée, mais sans le bassiste Eric Avery, remplacé par Flea des Red Hot. En 2003, le groupe se retrouve à nouveau sans Avery et sort un nouvel album "Strays" qui sera bien accueilli par les critiques avant de... splitter une nouvelle fois. Les membres préfèrent en effet se séparer plutôt que de tourner sans plaisir. Respect.

En 2008, Perry Farrell, Dave Navarro, Stephen Perkins et Eric Avery se retrouvent ensemble sur scène pour quelques concerts pour la première fois depuis 1991 puis partent en tournée avec Nine Inch Nails à l'été 2009. Pourtant, après une série de concerts en Australie début 2010, Eric Avery quitte (définitivement ?) le groupe. Chris Chaney, bassiste sur "Strays", reprend sur service en tournée et sur "The Great Escape Artist", album sorti en 2011 (le 4e seulement, en 26 ans d'existence du groupe !!), dans lequel on retrouve par moments la beauté et l'intensité des deux albums cultes du groupe, notamment sur "Underground", "End of the lies" ou "Irresistable force".

jeudi 8 décembre 2011

"Fatherland" de Robert Harris

J'aime l'histoire contemporaine, j'aime les romans policiers. Avec "Fatherland", j'ai été servi. Et j'ai même appris un mot, uchronie, qui se dit d'un roman qui modifie un évènement historique et ses conséquences. En l'occurrence, dans "Fatherland", l'Allemagne nazi a gagné la Deuxième Guerre mondiale et règne sans partage sur une Europe soumise.

En 1963, les Etats-Unis et l'Allemagne réchauffent leurs relations diplomatiques et Kennedy (Joseph, père de John) doit se rendre en visite officielle à Berlin. L’Allemagne piétine sur son front est, victime du terrorisme de partisans russes financés et armés par... les Etats-Unis. Parallèlement, un inspecteur de la police criminelle, Xavier March, tente d'enquêter sur le meurtre d'un ancien haut dignitaire nazi. Mais la Gestapo lui met des bâtons dans les roues et fait son maximum pour saboter l'enquête. Opiniâtre, March se lance à corps perdu dans la recherche de preuves aidé par une journaliste américaine.

Robert Harris nous entraîne dans le quotidien de la vie berlinoise après 30 années de nazisme, mélange de suspicion et de terreur, l'omniprésence d'Hitler, la propagande et ses mensonges, et la lassitude qui gagne certains, dont Xavier March, qui se sent de plus en plus mal dans son costume SS noir. Plusieurs personnages importants du roman sont des personnages réelles auxquels Harris a modifié voir "prolongé" la vie après 1942. Le romancier s'appuie également sur plusieurs documents, memorandums et faits historiques authentiques (Conférence de Wannsee notamment) et cela rend l'intrigue plus intense encore.

J'ai été vraiment séduit par ce roman qui peint un Berlin réaliste, effrayant et monumental imaginé par Albert Speer, l'architecte du régime nazi. C'est l'une des forces de ce roman où la ville apparait comme un personnage à part entière. L'intrigue politique est bien ficelée entre intimidation, violence et trahison. March est un personnage humain dont le mal-être social devient dangereux sous le nazisme. Je ne peux donc que recommander la lecture de cet excellent roman.